Les critiques de jeu se concentrent souvent autour de la mécanique ou de l’esthétique du matériel. Le critique s’intéresse plus rarement à son ergonomie, même s’il s’attarde souvent sur la rédaction de la règle du jeu. C’est souvent un élément qui doit aller de soi. Parfois, des erreurs provenant de la production du jeu conduisent le critique à souligner des défauts d’ergonomie (comme les pions trop gros pour la piste de score de Mykérinos). Mais il est beaucoup plus rare qu’il la mette en avant comme un des facteurs explicatifs du plaisir de jouer.
De fait, l’ergonomie ou la jouabilité d’un jeu sont moins directement perceptibles ou visibles que l’esthétisme.
Mais quels sont effectivement les éléments qui favorisent le plus le plaisir de jouer ? Si l’on considère que l’un des moteurs importants est l’immersion dans l’univers que l’auteur a voulu créer en développant la mécanique appropriée, alors, pour moi, l’ergonomie a un rôle plus important que l’esthétisme.
En effet, l’esthétisme va
permettre de se plonger dans l’ambiance du jeu, en appréciant les graphismes et
l’atmosphère générale créée. Mais l’esthétisme est une question de goût. On
peut ne pas apprécier le graphisme de Caylus dans son édition normale ou préférer largement celle de l'édition Premium. On peut trouver naïves les illustrations de Sank Petersburg. Mais au-delà de cet aspect, c’est
l’ergonomie qui conditionne la fluidité de la partie et l’immersion du joueur
dans la situation proposée. Quoi de plus désagréable que de devoir se replonger
régulièrement dans les règles pour interpréter un signe abscons sur une carte
ou un plateau, de passer par plusieurs tableaux différents pour résoudre une situation
de jeu (comme c'est souvent le cas dans les wargames). Et les exemples sont en fait assez nombreux :
- les décomptes multiples non facilités dans Alexandros, Magna Grecia, ou les Colons de Catane 2 joueurs. Pour les 2 premiers, le recours à des petits dés à poser dans chaque cité ou dans chaque territoire est fortement recommandé et des pistes de décompte de points ont été proposées pour les Colons de Catane le jeu de carte.
- La règle peut elle aussi présenter des concepts proches qui ont des conséquences très différentes sur le jeu ou qui mettent en œuvre des mécanismes inhabituels nécessitant une description très précise. Je classerai dans la première catégorie la différence entre les conflits externes et les conflits internes dans Euphrat und Tigris de Reiner Knizia et dans la seconde les jeux de Uwe Rosenberg Bohnanza et Mamma Mia. Pour ce cas là, une explication orale du jeu est beaucoup plus confortable que la seule lecture des règles.
Et je pourrai certainement multiplier les exemples et les situations. On peut même se demander si la production d'aide de jeu par les joueurs passionnés n'est pas un moyen de dépasser certains de ces défauts d'ergonomie pour apprécier à sa juste valeur une mécanique de jeu. A l'opposé, certains jeux présentent une parfaite intégration du matériel, des règles et des mécanismes. il en découle une très grande fluidité du jeu et une immersion forte. Je suis pour ma part admiratif du travail de certains éditeurs et auteurs pour intégrer ces éléments dans leurs jeux : ainsi le travail réalisé par l’équipe d’Ystaris sur Caylus est remarquable : toutes les données techniques sont rappelées sur le plateau et les tuiles de façon claire et intuitive. Imaginez ce que serait ce jeu sans rappel sur les tuiles des productions de chaque bâtiment ?
Ce travail de fourmi a été souligné bien des fois par Bruno Faidutti et a été rappelé récemment par Pierô dans son interview sur 4L Ludique. Il consiste à partir d’un mécanisme de jeu adapté à votre sujet à le carrosser, le fondre dans une démarche perçue comme intuitive par les joueurs. Cette part importante et ingrate du travail de création est souvent sous estimée aussi bien par les futurs ou nouveaux créateurs eux-mêmes que par les utilisateurs.
Voici un exemple tiré de la création de Rallye pour illustrer mon propos :
Une fois que les mécanismes ont été mis au point, il nous a fallu, à Christine et moi, les expliquer par la règle du jeu.
Etape 1 : La première solution a consisté en une rédaction littérale et complète dans les règles des mécanismes de résolution. Résultats, même après beaucoup de reformulations, cette partie reste la plus difficile et la plus abrupte à comprendre. La règle reproduite ci-dessous et l'organigramme dessiné à cette époque en témoignent. Le seul effort d'ergonomie avait porté sur l'édition au verso de chaque carte d'un petit tableau de résolution des tests quand le volant était bien réglé.Le tronçon à parcourir est retourné.
Chaque joueur à son tour, vérifie :
Qu’il ne dépasse pas la vitesse de sécurité du tronçon :
Que sa voiture est bien engagée sur le tronçon, c’est à dire que le volant est tourné dans la direc-tion correspondant à la flèche imprimée sur la carte :
Si ces deux conditions sont remplies, il ne se passe rien. Sinon, reportez vous au paragraphe ci-dessous.
Dépassement des conditions normales de conduite (vitesse ou orientation du volant)
Lorsque dans un tronçon un joueur présente une vitesse supérieure à la vitesse de sécurité ou une mauvaise orientation du volant il doit dépenser un certain nombre de cartes action (de n’importe quelle valeur) pour continuer sans encombre sa course.
Le processus de résolution de ces situations est le suivant :
Le joueur vérifie qu’il ne dépasse pas la vitesse maximum du tronçon parcouru. S’il dépasse cette limite supérieure, il fait un tête à queue.
Cette phase est alors terminée pour ce joueur.
Tête à queue :
Un joueur qui fait un tête à queue ramène sa vitesse à 0, et remet son volant droit. il reçoit 5 pions seconde de pénalité et il ne conserve dans sa main que 4 cartes (les autres sont rejetées sur la défausse).
Puis le joueur vérifie que son volant est correctement orienté.
Si ce n’est pas le cas, il doit payer une carte action par case de volant d’écart. S’il ne dispose pas d’assez de cartes en main, il fait un tête à queue.
Si le joueur a payé pour la mauvaise orientation de son volant et qu’il dépasse la vitesse de sécurité du tronçon, il doit en plus :
Rejeter un nombre de cartes action égal à la valeur indiquée sur la carte de tronçon de route dans le tableau de seuil de réussite sous sa vitesse actuelle
S’il ne dispose pas du nombre de cartes nécessaires, il réduit sa vitesse à la vitesse de sécurité du tronçon et reçoit 2 secondes de pénalité par case parcourue pour diminuer sa vitesse
Cette phase est alors terminée pour ce joueur.
Si le joueur a payé pour la mauvaise orientation de son volant et qu’il ne dépasse la vitesse de sécurité du tronçon, il a terminé sa phase de jeu.
Si le volant est bien orienté, et que le joueur dépasse la vitesse de sécurité du tronçon, il retourne la carte du sommet du talon.
o Si la valeur de la carte est supérieure ou égale à la valeur indiquée sur la carte de tronçon de route dans le tableau de seuil de réussite sous sa vitesse actuelle, le joueur a réussi sa manœuvre et traverse le tronçon sans encombre
o
Si la valeur de la carte est strictement inférieure à la valeur indiquée
sur la carte de tronçon de route dans le tableau de seuil de réussite sous sa
vitesse actuelle, il doit rejeter un nombre de cartes action égal
à la valeur indiquée sur la carte de tronçon de route dans le tableau de seuil
de réussite sous sa vitesse actuelle. S’il ne dispose pas du nombre de cartes
nécessaires, il réduit sa vitesse à la vitesse de sécurité du tronçon et reçoit
2 secondes de pénalité par case parcourue pour diminuer sa vitesse.
Etape 2 : Puis, j'ai pensé à réaliser un tableau complet de résolution en séparant les situations où le volant était bien réglé de celles où il était mal réglé. La règle s'en trouve fortement simplifiée. On dispose désormais d'une lecture simplifiée du résultat, mais avec 2 tableaux dignes d'un wargame et peu compatibles avec les standards du jeu de société moderne.
Le tronçon à parcourir est retourné.
On choisit pour chaque joueur le tableau de l'aide de jeu ad hoc (volant bien orienté, volant mal orienté). On repère sur le tableau le tronçon parcouru (vitesse et orientation –couleur- du volant). Et on applique pour chaque joueur les effets indiqués
Ces effets peuvent être :
- La traversée sans encombre du tronçon
- Un test à réussir en retournant la carte du sommet du paquet
- Une dépense de carte pour un
volant mal orienté et ou une vitesse excessive
- Un tête à queue
Tête à queue :
Un joueur qui fait un tête à queue ramène sa vitesse à 0, et remet son volant droit. Il reçoit 5 pions seconde de pénalité et il ne conserve dans sa main que 4 cartes (les autres sont rejetées sur la défausse).
Etape 3 : En reprenant Rallye à l'occasion de la création de ce Blog, de la mise en ligne du matériel pour tester le jeu et d'une ultime recherche d'éditeur, j'ai eu enfin l'idée d'une intégration complète du mécanisme de décompte qui me semble améliorer très considérablement la jouabilité et l'ergonomie de Rallye. La solution consiste à reporter sur le dos des cartes 2 petits tableaux de maximum 6 cases chacun (entre la vitesse de sécurité et la vitesse maximum) qui permettent de résoudre toutes les situations. La règle est toujours aussi simplifiée que dans l'étape 2 (elle est un peu plus longue car on doit y intégrer le texte qui figurait au bas des tableaux). Une mise en forme encore plus agréable est certainement possible... Mais j'ai l'impression que cette fois le plus dur est fait.
Le tronçon à parcourir est retourné.
On choisit pour chaque joueur le tableau qui figure sur la carte tronçon ad hoc (volant bien orienté, volant mal orienté). On repère sur ce tableau la vitesse du joueur et on applique les effets indiqués
Ces effets peuvent être :
- OK : le tronçon est traversé sans encombre
- Une valeur numérique seule : retournez la carte du dessus du paquet. Si elle est supérieure ou égale à la valeur numérique vous traversez le tronçon sans encombre. Sinon vous devez vous défausser de ce même nombre de cartes. Si vous ne pouvez pas défausser le nombre de cartes nécessaires pour le dépassement de la vitesse de sécurité, vous diminuez votre vitesse à la vitesse de sécurité et vous recevez 2 secondes de pénalité par case de vitesse ainsi parcourue.
- V : défaussez autant de carte que l'écart de réglage de votre volant avec le tronçon traversé (à appliquer aussi pour toutes les vitesses inférieures à la vitesse de sécurité).
- V + Une valeur numérique :
- défaussez autant de carte que l'écart de réglage de votre volant avec le tronçon traversé. Si vous ne pouvez pas défausser le nombre de cartes nécessaires pour un volant mal réglé, vous faites un tête à queue.
- défausser de ce même nombre de cartes pour dépassement de la vitesse de sécurité. Si vous ne pouvez pas défausser le nombre de cartes nécessaires pour le dépassement de la vitesse de sécurité, vous diminuez votre vitesse à la vitesse de sécurité et vous recevez 2 secondes de pénalité par case de vitesse ainsi parcourue.
- TàQ : tête à queue (à appliquer aussi pour toutes les vitesses supérieures à la vitesse maximum)
Tête à queue :
Un joueur qui fait un tête à queue ramène sa vitesse à 0, et remet son volant droit. Il reçoit 5 pions seconde de pénalité et il ne conserve dans sa main que 4 cartes (les autres sont rejetées sur la défausse).
En guise de conclusion, je suggèrerais bien aux journaux consacrés à notre passion (Jeux Sur un Plateau et Plato) de ne jamais négliger dans leurs critiques l'ergonomie et la jouabilité.
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